Royaume-Uni : Thatcher continue à diviser le peuple

24 Octobre 2013



À l'occasion de l'ouverture solennelle de la nouvelle année, le Durham Union Society, une des « debating societies » les plus anciennes d'Angleterre, a organisé un événement particulièrement caractéristique de la culture politique britannique : un débat sur la place qu'occupe la Dame de Fer dans l'histoire du pays, alors même que celle-ci continue de façonner le Royaume-Uni encore aujourd'hui.


Crédits photo -- AP
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Un ex-ministre, des députés conservatifs et les représentants des mineurs étaient appelés à dresser un nouveau bilan des années Thatcher. Un débat se déroulant dans le décor historique de la salle de Durham Union Society, non si différente par sa disposition de la House of Commons. Avant le débat, la tension était palpable et l'air presque irrespirable. L'afflux des étudiants d'une des meilleures universités britanniques était tel, que désespérés à participer, ils ont rempli chaque espace possible, et certains sont même restés debout pendant deux heures. Même si le débat a été long, l'ambiance électrisante et la passion des « speakers » était là pour animer les échanges, impossible de décrocher avec une telle ambiance. Le débat a mis en lumière que la société anglaise demeure profondément marquée et divisée, sinon traumatisée par le « règne » de la Dame de Fer. Les participants devant répondre à une seule question : « Thatcher peut-elle être considérée comme "le meilleur Premier ministre d'après-guerre" ? ».

La cause d'accusation : La ferveur de mineurs du Nord

Les maux du thatchérisme sont égrainés sans pitié par les intervenants avec une certaine passion. Les discours sont intenses et parfois émouvants. Il faut dire que la plupart de ces derniers sont des récits d'expérience personnelle. Après tout, pour la plupart des orateurs, ce sont des perdants de la guerre acharnée qu'ils ont menés avec le gouvernement Thatcher. À cette époque, les syndicats bénéficiaient de pouvoirs quasi-égaux à ceux de l’État. Lui dictant leurs revendications et prônant la hausse des salaires. Grâce à leur capacité sans limites à secouer le pays par la grève générale – comme lors du Winter of discontent (l'Hiver du mécontentement) – ils représentaient un vrai contre-pouvoir. Lors du débat, les conservateurs ont évidemment évoqué les souvenirs de leur enfance : des coupures d'électricité, des ordures non ramassées bordant les rues, ou même des morts non enterrés.

C'est contre ce pouvoir concurrent à l'État que Thatcher, sans pitié, a rompu la volonté des grévistes, en démantelant, par la suite, leurs industries jugées comme obsolètes et non-compétitives. « Au revoir aux mines », mais aussi plus de 15 % de l'industrie manufacturière. Provoquant une multiplication par deux du nombre de chômeurs, dont le pic fut atteint en 1984 avec 3 millions. Pour les représentants des mineurs, aucun enjeu de budget, de réforme, de modernité ne peut justifier de telles mesures radicales et irréversibles. Des mesures ont touché le destin de familles, de rues ou de villages entiers, certains ayant même disparu de la carte, notamment à Durham et dans le reste du nord du pays. On évoque les histoires des gens ordinaires qui n'ont jamais su se remettre de ces bouleversements, mettant en lumière l'important clivage qui règne encore (et toujours) dans la société. Entre les inégalités qui ont explosé et ceux qui ont profité du nouveau régime – par la finance dérégulée ou par la privatisation des monopoles stratégiques en propriété d’État.

La défense molle ou l'alibisme politique ?

En ouverture de débat, Lord Howell, l'ex-ministre de l’Énergie du gouvernement Thatcher n'a pas pu ou voulu trop aider la cause de son parti, et de sa Première ministre. Plutôt que de défendre les politiques de l’époque, celui-ci a préféré lister les raisons qui lui rendent une telle défense difficile et de citer les bons mots des coulisses. Ce n'est pas anodin si Thatcher l'a considéré longtemps comme un « wet » - de pas assez décisif et impliqué. Lord Howell ne se cache pourtant pas, pour lui « une décision gouvernementale est toujours soit catastrophique, soit un désastre... Donc vaut mieux réfléchir avant d'agir ». Une « vérité » qui, c'est vrai, est loin de coller à l'idée que se l'on se fait de l'appareil du thatchérisme.

La femme providentielle, après tout...

Après une entrée aussi molle, la tâche des conservatifs était d'autant plus difficile. Pour eux, la politique thatchérisme – « ce médicament difficile à avaler » – était nécessaire, à leurs yeux : « Il n'y a pas d'alternative ». Pour le groupe conservateur, la capacité de faire passer les décisions impopulaires et difficiles, la conviction inébranlable, la détermination, la « volonté de fer » de faire « de la Bretagne, la Grande Bretagne », justifient la prétention au titre du « meilleur premier ministre ». À l'époque, selon les conservateurs, il fallait agir, le pays était effectivement perçu comme « l'homme malade de l'Europe », avec une inflation à deux chiffres, étant forcé d'accepter l'aide de FMI. Une décennie de gestion thatchérisme a fait balayer tout ça et l'économie du pays a été transformée à jamais. Face au déclin industriel, l'accent était mis sur la tertiarisation ; la privatisation, au lieu de la propriété publique jugée inefficace contre le Welfare state, triomphait.

L'une des traces les plus vivement mises en lumière du thatchérisme était le changement de l'esprit national, de la mentalité des individus. Le débat a notamment porté sur le fait que chacun est maître de son propre destin, que chacun a l'opportunité de réussir grâce à son effort personnel. Une des mesures thatchériennes phares illustrant cette idéologie était « Le droit d'achat », ou plutôt du rachat des « council houses » par leurs locataires. Ainsi, plus d'un million de Britanniques sont devenus propriétaires de leur maison – une notion importante dans la culture britannique – ce qui leur a permis d'en disposer librement. D'où le succès de ce « capitalisme populaire », qui a soutenu l'esprit entrepreneurial dans la société. Pour le député conservatif Heslop, le moment le plus fort témoignant de la reconnaissance à la contribution de Thatcher demeure l'applaudissement spontané qui a accompagné son cercueil, lors de ses derniers adieux à Londres.

Et le verdict ?

Le débat s'est conclu par le vote sur la motion proposée, qui risquait d'être intéressante vu l'impact possible du contexte. À la fois, parce que l'événement a été organisé au nord du pays qui a énormément souffert de la désindustrialisation et de la fermeture de mines ; en même temps, sur le terrain de Durham University, dont les étudiants représentent souvent les élites bien aisées.

Le résultat voté – nul – était très symptomatique de la division profonde au sein de la société britannique sur ce sujet. De la même manière, le niveau du débat – certes conflictuel et intense – accroit cette division bien que le débat a été marqué par le respect mutuel et l'éloquence, qui après tout justifie la renommée de la culture politique britannique. Or, le plus impressionnant est que le débat sur les années Thatcher soit aussi prégnant même parmi les jeunes d'aujourd'hui, pour le meilleur et pour le pire. D'ailleurs, de nombreux analystes estiment que Thatcher a bel et bien déplacé tout le spectre politique britannique vers la droite ; certains mettent en lumière que « la troisième voie » de Tony Blair, n'était que du « thatchérisme au visage humain ». Si l'essentiel de ses politiques semble progressivement intégré dans le système politique et économique (aussi comme l'est National Health Care ou Welfare state de Clémence Attlee, l'autre prétendante au titre du meilleur premier ministre d'après-guerre), certains aspects clés sont repensés : la dérégulation de finance, mais également la « re-industrialisation » du pays récemment proclamé par David Cameron.



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